Les plus belles histoires d’amour sont souvent les plus houleuses. Seule la caresse du temps parvient, parfois, à les tempérer. Le 23 octobre 2006, cela a fait cent ans que Paul Cézanne, père de la peinture moderne, natif et résident obstiné d’Aix-en-Provence, est mort.
Cent ans : c’est le temps qu’il aura fallu à la Ville pour célébrer l’immense figure.
Bien sûr, le clou de cet hommage, a été l’exposition lumineuse et rare, dans un musée Granet entièrement refait à neuf, de 85 toiles et d’une trentaine d’aquarelles du maître.
Au départ de l’office de tourisme, un itinéraire de « pavés » en bronze permet en effet de mettre ses pas dans ceux du grand homme. De son ancien collège Bourbon (aujourd’hui collège Mignet, où il scelle son amitié avec Emile Zola) à la cathédrale Saint- Sauveur (où ont lieu ses obsèques) en passant par la rue Boulegon (son dernier domicile), le café des Deux garçons (où il retrouve ses amis en arrière-salle), l’hôtel de ville (où il se marie en 1886 après 17 années de liaison cachée avec la mère de son fils) : la balade ne manque pas de charme, flattée par le décor sinueux, graphique et avantageux du centre ancien d’Aix.
Mais c’est surtout sous la houlette d’un guide que ces chemins de traverse parviennent à suivre d’autres contours, donnant à voir les heurts d’une vie faussement paisible, puisque globalement incomprise de ses contemporains.
Rejet agacé du père banquier (qui l’aide financièrement néanmoins !), rejet absolu du directeur, à l’époque, du musée Granet, un certain Henri Pontier. Sculpteur et grand visionnaire en effet, puisqu’il s’est obstiné, de son vivant, à faire en sorte qu’Aix n’achète aucune oeuvre de Cézanne…
« Cézanne disait qu’il était né 50 ans trop tôt . Il disait aussi qu’il voulait faire de la peinture durable et solide pour entrer dans les musées », explique Stella Rybaka, guide-conférencière agréée qui sait débusquer les contradictions derrière les jolies façades.
Au détour d’un passage (Agard), d’une statue du Roy René, ou bien sûr d’un musée Granet se dessine ainsi, en sa compagnie, la relation contrastée mais pérenne d’une ville bourgeoise et d’un fils de famille non moins bourgeois, infiniment aixois, qui pouvait à la fois refuser l’électricité, détester le train et pressentir qu’il était « le primitif d’un art nouveau ». Il n’a, de fait, jamais tout à fait quitté sa ville. Qu’il n’a jamais tout à fait peinte non plus.
Ariane Allard